La dette publique n’est pas un mal en soi 2…

En attendant le compte rendu du dernier café économique que Pierre doit envoyer aujourd’hui, à la suite de la lecture de l’article « la métaphore de l’horoscope » d’Olivier Bouba-Olga, je reviens sur la question de la dette publique et la question de l’efficacité dans la fonction publique.

Je ne suis toujours pas convaincu par le discours ambiant sur la nécessité absolue de réduire la dette publique comme objectif prioritaire.

En effet, les propositions initiales de Nicolas Sarkozy de baisse des impôts et de réduction de la dette ne me semblent pas tenables, comme le souligne Thomas Piketty (pour l’ensemble des interviews, voir ici sur Grande Question).


Interview de Thomas Piketty : « Réfutations chap. 2 : Fiscalité »
Source : lautrecampagne

Cette réduction des prélèvements tout en essayant de maintenir le déficit public implique par conséquent un désengagement de l’Etat, soit par une réduction du nombre de fonctionnaires, soit par une utilisation supposée plus efficace de l’argent public.

1/ La réduction du nombre de fonctionnaire

Celle-ci est conditionnée par la courbe démographique des départs à la retraite, sur lesquels les pouvoirs publics ne peuvent qu’agir en jouant sur l’âge de départ à la retraite. Toutefois, la tendance étant à l’allongement de la durée de cotisation, les pouvoirs publics ne peuvent qu’agir sur le renouvellement des fonctionnaires en s’appuyant sur des gains de productivité réalisés.

2/ L’idée d’efficacité de la fonction publique

La question d’efficacité dans le service public me pose également quelques problèmes. S’agit-il du rapport entre des quantités produites ou prestations par euro public dépensé inférieur à une certaine valeur ? Et quelle valeur ? Dans ce cas, mettre plus d’étudiants par groupe de travaux dirigés ou augmenter le nombre de patients par personnel soignant réduirait ce coût moyen.

A moins que l’efficacité soit une mesure du nombre d’étudiants atteignant un niveau donné initialement ou un nombre de personnes soignées ? Ces mesures ne sont pas exactement les mêmes puisque dans le second cas, il s’agit d’un objectif qualitatif.

Mais le leitmotiv de Nicolas Sarkozy sur la culture du résultat dans la fonction publique me semble extrêmement dangereux car il est susceptible d’introduire des comportements déviants à la mission même de service public. Des exemples de ce type ont été relayés, entre autre par le Canard Enchaîné, au sujet des expulsions d’immigrés sans papiers.

3/ La question d’efficacité dans les services publics nécessite un benchmark qui omet de tenir compte des inefficacités des entreprises privées

Dans le discours ambiant, l’entreprise privée est supposée plus efficace que le service public. Ce raisonnement repose sur plusieurs erreurs, dont le fait que les services publics efficaces et les entreprises privées inefficaces ne sont pas prises en compte.

Comme le souligne Olivier Bouba-Olga dans son article, il est nécessaire de considérer les 4 cas possibles :

  • les services publics efficaces,
  • les services publics inefficaces,
  • les entreprises privées efficaces,
  • les entreprises privées inefficaces.

Dans le raisonnement actuel visant à monter services publics inefficaces contre entreprises privées efficaces, les entreprises privées inefficaces et les services publics efficaces sont toujours oubliés. On ne retient que ce qu’on veut retenir. L’exemple de l’attente aux impôts, à la sécu ou à la CAF sont généralement mis en avant, mais jamais la résolution d’un problème (qui peut être complexe) par un organisme public !

Dans ce discours, on ne retient que trop rarement la proportion des dirigeants inefficaces ou qui ont fait des erreurs managériales, parce qu’elles sont attribuées à un individu ou à un groupe d’individu, alors que l’inefficacité du service public serait inhérente au service public en lui-même, ce qu’il faudrait quand même démontrer !

Je ne dis pas qu’il n’existe pas d’inefficacités dans la fonction publique, mais il me semble possible de citer autant d’exemples de disfonctionnements et d’inefficacités dans des entreprises privées. Mais cela a tendance à moins être retenu par les gens, sans doute parce qu’on suppose qu’il s’agit de ressources privées. Toutefois, une partie de la contrepartie de l’efficacité des entreprises est composée :

  • de l’épargne des gens, qu’elle soit sous forme de placements, d’assurance vie, de complémentaires quelconques (retraite, vieillesse, maladie…).
  • des salaires présents et avenir des employés de ces entreprises privées. Une mauvaise utilisation des ressources de ces entreprises entraîne une non augmentation des salaires futurs, l’absence de primes au résultat (participation aux bénéfices), des non embauches ou licenciements…

Tout ça ne veut bien sûr pas dire qu’il ne faille pas améliorer l’utilisation des ressources publiques afin de répondre mieux à des nouveaux besoins tout continuant à répondre aux besoins plus anciens en s’appuyant sur les gains de productivité réalisés et des réallocations de ressources.

4/ Un biais idéologique sous-jacent

Ce discours du désendettement et de l’inefficacité publique risquent de conduire à la détérioration du service public, à la démotivation des fonctionnaires ou assimilés, sans pour autant que les activités privées qui lui sont substituées répondent mieux aux besoins. Pour exemple : les cliniques privées qui se sont développées tendent à n’accepter que « le bon risque » (c’est-à-dire l’absence de risque), l’hôpital public recevant le « mauvais risque » ou les erreurs (mortelles) de certaines cliniques ! Ceci pose un vrai problème : qui va gérer le mauvais risque à long terme ??? Si la fonction publique est amener à ne gérer que le « pourri », alors effectivement il y aura toujours un politique pour supprimer le résidu de service public alors jugé trop coûteux et trop inefficace.

Par conséquent, le raisonnement de « l’efficacité » du service public ne peut être menée qu’en tenant compte des classes de risque.

5/ Est-ce difficile de réformer ?

Lié à la question de la dette et du désengagement : l’argument de l’impossibilité de réformer la fonction publique est souvent avancé, conduisant souvent à des réformes à la marge qui jouent sur tel ou tel paramètre, comme le déremboursement de certains médicaments.

Mais ce raisonnement oublie que la fonction publique est la rencontre de rapports de force entre l’Etat, une direction, des usagés, des employés…

Mais que le débat public tende à en conclure que la France n’est pas réformable est un peu facile !!! Les intérêts divergents qui composent l’organisme public ne sont souvent pas considérés. Une tentative de réforme, plutôt que de rechercher des équilibres coopératifs à travers la négociation collective entre partenaires sociaux, joue sur le rapport de force et la confrontation.

Michel Rocard souligne dans un entretien publié dans l’ouvrage « Les retraites : libres opinions d’experts européens » sous la direction de Florence Legros (éditions économica), que tant que l’idée de réforme ne reposera pas sur la négociation collective, en redonnant la prise de décision de la réforme aux gens qui composent cet organisme (par l’intermédiaire des partenaires sociaux), et tant que le politique :

  • cherchera à affaiblir les structures représentatives syndicales (qu’elles soient professionnelles ou salariées),
  • annoncera la conclusion de la négociation, c’est-à-dire, le résultat de la réforme, avant négociation,

alors réformer ne sera pas possible.

Et Nicolas Sarkozy, comme Balladur (réforme des retraites de 1993) ou Fillon-Raffarin (réforme des retraites de 2003) avant lui, ne semble pas prendre la voie de la négociation collective. Par conséquent (et c’est ce qui s’est passé pour les tentatives de réforme de l’éducation nationale ou la tentative de réforme des impôts), les fonctionnaires défendent leurs propres intérêts.

Enfin, des investissements lourds nécessaires dans le secteur public, investissements non rentables à court terme, accompagnés de réductions d’impôts, risquent de reproduire ce qui s’était passé aux Etats-Unis sous Reagan.

17 Responses to La dette publique n’est pas un mal en soi 2…

  1. loulou dit :

    je tique un peu car tu traites a la fois de la depense publique et de la dette publique. sur ce sujet, jai toujours la meme question: si on pense qu’une depense publique se justifie (et je suis d’accord avec la quasi totalite du post sur l’interet de la depense), pourquoi ne veut on pas la financer par une recette???? en periode de crise, je comprends le recours a la dette; sinon, est ce que cest pas un peu facile de dire je fais une depense (generalement de fonctionnement et pas d’investissement helas) mais je laisse a dautres le soin de payer la facture…

  2. Laurent dit :

    Effectivement je pars de l’idée que pour baisser les impôts tout en maintenant la dette publique à 60 % du PIB, hormis dans un contexte de croissance forte, la solution est un désengagement de l’Etat. Il semble que ce soit la voie choisie par Nicolas Sarkozy, avec en trame de font, un discours sur l’inefficacité des services publics venant justifier ce choix politique.

    Quant à ton questionnement sur les dépenses non financées par des recettes présentes, je n’ai pas vraiment de réponses à apporter.
    Toutefois, on peut supposer que les dépenses publiques ne sont pas rentables à court terme, et qu’elles ne permettent de générer des recettes supplémentaires qu’à moyen terme. Autrement dit, si je me souviens bien, dans la loi de Wagner (et les animateurs d’écopublix – http://www.ecopublix.eu/ – pourront me corriger) l’élasticité des dépenses publiques par rapport au revenu national est supérieure à 1.
    De plus, j’ai un peu l’impression que les investissements publics français suivent des processus de rattrapage générant des dépenses lourdes. Autrement dit, j’ai l’impression que les cycles d’investissements publics succèdent à des périodes de non engagement. Par exemple, les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche de la fin des années 80 ont constitué un rattrapage afin de répondre à l’entrée massive d’étudiants à partir du début des années 80. De la même façon, la construction d’infrastructures hospitalières a succédé à une période de faible engagement public dans le secteur. Le rattrapage plutôt que l’anticipation des besoins ne conduit-il pas davantage à des dépenses non financées par des recettes ??

  3. @loulou : tu interdirai a une entreprise de s’endetter ? Interessant comme concept.

    @Laurent : y-a-t’il des études économétriques comparant des services rendus par le public et le privé dans le même domaine ?

    A part l’ultra répétition de « public = inefficace, privé = efficace » des économistes je n’ai rien trouvé pour le moment sur le sujet.

  4. laurent dit :

    @ Laurent : je cherche, mais je n’ai rien trouvé non plus sur la question… En même temps c’est très éloigné de mes sujets de recherche…

  5. Une petite expérience naturelle dans la santé aux USA :

    http://plumer.blogspot.com/2007_05_01_archive.html#5173200292826090986

    >

    Un systeme entierement public basé sur le salariat qui écrabouille la concurrence privée en qualité et en prix.

  6. Gaël dit :

    @ Laurent G : oui, il y en a, en économie des contrats (travail sur les partenariats public-privé). En gros, la démarche est de modéliser le partage des risques et les incitations en fonction des types d’organisation chargées de mettre en oeuvre un investissement ou de faire fonctionner un équipement (privé, public, différents types de partenariat public-privé), puis de vérifier si la réalité correspond à la modélisation. Les résultats te surprendraient (par exemple, en matière de gestion des réseaux d’eau, il est probable que le programme des verts ait plutôt raison…). Un lien vers la page du prof qui m’a introduit à ces questions : http://atom.univ-paris1.fr/content/view/3/51/
    Pour l’article sur les réseaux d’adduction d’eau (en anglais) : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=925344

    @Laurent-café éco : l’argument de Rocard est très intéressant ; dommage que Ségolène Royal n’ait pas su le mobiliser lors du débat d’entre deux tours et ait laissé à Sarkozy un boulevard sur le thème « comment, une présidente qui ne saurait pas où elle veut aller ? »…

  7. Gaël dit :

    Ah tiens, en fait ça existe aussi en français pour le minstère de l’environnement : http://atom.univ-paris1.fr/documents/RAPPORTFINAL_JUIN.pdf

  8. Il doit y avoir un de mes commentaires dans la boite a SPAM (posté le 2 juin vers 21h).

  9. Gizmo dit :

    C’est pas gagné… J’ai fait sur http://www.educnet.education.fr/comptes/etat/qcm/accueilqcm.htm le test sur la dette publique où j’ai obtenu 19/20, résultat certes honorable, mais ce qui m’a agacée, c’est de chuter à la question 20. Maintenant que vous êtes prévenus, si vous n’avez pas 20/20…

  10. loulou dit :

    laurent guerby: non je n’interdis pas a une entreprise de s’endetter. quand une d’entre elles le fait, les actionnaires savent qu’il faudra rembourser cet endettement et que celui-ci jouera sur la valeur de leur actif. La dette publique permet d’une certaine maniere de refiler le mouflet a l’actionnaire d’apres sans jouer sur la valeur de son propre actif…
    De plus, un etat contrairement a une entreprise peut generer des recettes supplementaires quasi illimitees (en tout cas suffisante pour financer les depenses qu’il estime necessaire)

  11. loulou, les entreprises ne remboursent pas leur dettes elles font comme l’etat elles s’en servent quand elles le jugent necessaire pour obtenir un effet de levier pour leurs actionnaires et elles « rollent ».

  12. loulou dit :

    laurent guerby: je suis desole mais je ne suis pas d’accord avec ton dernier post;
    plusieurs raisons: tu ne reponds pas a ma remarque sur la difference actionnaire jouant sa propre mise et citoyen (actionnaire aussi) refilant bebe a generation d’apres…tu supposes que l’entreprise peux tout se permettre vis a vis des marches de capitaux (le roll…) alors que seul l’etat peut jouer sur le cote recettes de maniere discretionnaire au moins a court terme
    je tiens a repeter que je ne suis pas anti dette ou deficit public, mais que j’aimerai juste qu’on reponde a la question pourquoi refuse t’on de financer des investissements dont on pense qu’ils sont importants????

  13. Une petite expérience naturelle dans la santé aux USA :

    plumer.blogspot.com/2007_05_01_archive.html#5173200292826090986

    >

    Un systeme entierement public basé sur le salariat qui écrabouille la concurrence privée en qualité et en prix.

  14. Le morceau qui manque :

    Okay, back to Longman. His preferred solution would look much like the Veterans’ Administration, in which the government would run the entire health-care system–rather than merely providing insurance. Because the VA has a lifetime relationship with its patients, it has « incentives to invest in prevention, disease management, and protocols of care that actually work–incentives that are weak or absent in the rest of America’s fragmented health care system. » There’s the push-back. Doctors receive salaries rather than getting paid by the service, and the system uses evidence-based medicine and information technology. And studies show that the VA provides better care than the rest of the U.S. health care system, hands down.

  15. loulou, je suis surpris d’apprendre que les entreprises ne rollent pas leur dette et que les actionnaires sont interdits de revendre leur action, je dois manquer d’information sur le sujet …

    Sur le sujet de la dépense publique il faut demander aux élus (et je vais voter d’ailleurs :).

    Précision : je travaille dans une salle des marchés.

  16. economix dit :

    la dette publique est une escroquerie internationale puisqu’en s’endetant on gagne de l’argent avec ce qu’on ne posssede pas encore,
    et lorsqu’on ne peut plus rembourser qui sont les cons qui rammassent tout dans la gueule, ceux à qui on a fixé un prix des produtis basé sur ce dynamiseme économique qui a eu comme moteur la specualtion sur la capacité de remboursement.

    le fait de s’endetter ne se limite pa à l’endetement en soi, mais se repercute dans la dynamique globale de l’economie qui est crée par cette speculation sur la capacité de remboursement ce qui augumente les niveau de tous les « agregats » de l’économie, le PIB, le taux d’echange, prix des exportations etc, or ce n’est qu’avec de l’argent fictif puisqu’on n’est pas sur de le rembourser, et effectivement vu la faillite recement des banques americaines, le niveu actuel de leur economie est obtenu par ce coup de poker, du bleuf, par la speculation, pas tout mais une certaine partie, et docn une fois mit dans l’imposibilité de rembourser, cela a servit à l’enrechissement seulemetn qui otn été à l’origin de ce coup de bleuf, les autres pays ont subit

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